samedi, novembre 23, 2013

AU-DELA D'UN CITY-TRIP A BARCELONE !

Dans son “Hommage à la Catalogne” (que je n’ai pas encore lu) Orwell tient, à un moment, un peu près ce langage : « Je m'arrêtai à regarder un homme fabriquer une outre et je découvris avec un vif intérêt une chose que j'avais jusqu'alors ignorée, c'est que l'on met le côté poils de la peau à l'intérieur et qu'on laisse le poil, si bien que ce que l'on boit en réalité, c'est de l'infusion de poils de bouc. J'avais bu à des outres des mois durant sans m'en être jamais avisé.… ».

Vous trouverez peut-être étonnant le choix de cet extrait mais il se fait qu’il reflète bien le genre de découvertes et d’apprentissages qui nourrit mon quotidien catalan. Depuis un mois et demi, je découvre le bonheur que peut me procurer un foule d’activités toutes simples mais qui remplissent bien mes journées. Faire du pain, couper du bois, casser des murs et en construire, fabriquer un chauffage au feu de bois, élaborer confitures et alcools fruités, couper et changer un carreau, manier une disqueuse, construire des charrettes à bras et à vélo, improviser quiches et pizzas… Ces moments sont, la plupart du temps, collectifs et aux côtés de gens qui en connaissent plusieurs rayons de plus que moi. Du coup je me sens comme Orwell découvrant la conception d’une outre, émerveillé et sidéré de tout ce que je ne connais pas et qui pourtant fait partie de mon quotidien.

Ce qui est bien c’est que tout ça ne se fait pas en vase clos, dans une secte hippie perdue au milieu des bois et faisant la leçon au reste du monde. Au contraire la plupart des gens sont humbles et simples dans leur tentative de construire des formes alternatives de vie en communauté. C’est, qu’au fond, il ne sont pas catalans pour rien ! Si aujourd’hui Catalogne fait penser à Barcelone et Barcelone à Ramblas et parc Güell, farniente et Leo Messi, il en va tout autrement des découvertes de Georges il y a trois quarts de siècle. Le substrat libertaire et anarchiste de ce coin de péninsule irrigue encore pas mal de cœurs dans une région qui en bien besoin. Si vous avez vu le film Biutiful vous savez que tout n’est pas joli joli dans la cité du tourisme roi.

Je vis donc à 85 bornes au nord de Barcelone, dans une ancienne colonia industrielle du nom de Vila-Seca. Bien que la pluie soit nettement moins habituelle que chez nous le coin n’a rien de sec. Nous occupons la maison des anciens patrons, deux étages, des terrasses un peu partout et une foule de choses à y faire, une forêt très belle avec des arbres majestueux dont un sequoia qui a donné le nom à notre envie [1] et un terrain longeant un canal et une rivière qui accueillera notre potager.  Nous sommes 9 adultes et 2 enfants et demi (il devrait sortir dans deux mois). Il y a 5 catalans (Ana et Edu + Inti, Sonia et Ramón), 1andalouso-catalane (Cecilia), 1 français du suud, 1 estonienne, leur  petit et celui qui est en route, 2 belges que vous connaissez mieux. Nous avons tous entre 27 et 32 ans sauf les churumbeles (nom que les gitans donnent aux enfants en général). Nous sommes, chacun à notre façon, portés par l’envie de ne pas subir une série d’éléments d’une société folle et une crise vendue à toutes les sauces. Les expériences et compétences sont diverses et plutôt complémentaires. Elles vont de la boulangerie à la botanique, de l’élagage à la pédagogie, de l’anthropologie à la cuisine, de l’architecture à la musique.

Certains d’entre nous ont travaillé avec le robin des bois catalan (Enric Durán), d’autres ont vécu dans des ῞maisons occupées῞, dans des bouts de terre subitement peuplés de gens issus des quatre coins de l’Europe ou encore dans une jolie cabane du côté de Notre-Dame des Landes. La plupart a eu la chance de bourlinguer et de gouter au merveilleux plaisir de  rencontrer l’humanité dans son incroyable diversité. Il y a des timides et des beaucoup moins, des super idéalistes et des idéalistes un peu plus réalistes, beaucoup d’enthousiasme et pas mal d’incertitudes.    
Autour de ce groupe gravite une foule d’autres personnes, d’autres groupes, d’initiatives qui donnent une impression de foisonnement qu’illustre bien le documentaire La voix du vent. Souvent, je me dis que j’ai une vision de la réalité que certains pourraient qualifier de tronquée, que cette poignée de bobos n’est en rien représentative de ce qu’est la Catalogne d’aujourd’hui, en 2013. Bien que les contextes n’aient pas grand-chose de comparable, je veux, comme Orwell emballé par l’ambiance qu’il découvrit en 1936, rendre hommage à ces bouts de Catalogne qui constituent, bel et bien, une rêve-olution. Fines bouches et sceptiques rassurez-vous si ça vous dit en pensant que les foules qui ont peuplé la Plaça Catalunya et bien d’autres espaces publics sont toutes rentrées gentiment chez elles, la parenthèse est refermée, circulez il n’y a plus rien à voir. Si la méthode choisie et la marge de manœuvre sont assez éloignées de celles des rêveurs de la guerra civil, le souhait a bien quelque chose de commun et de contagieux : rendre les relations entre les êtres de cette planète plus harmonieuses et équilibrées.     

Chaque jour a quelque chose de paisible et nouveau à la fois, j’ai l’impression de retrouver un rythme de vie que je n’ai sans doute connu qu’enfant ou en voyage. J’ai souvent dit aux autres que je ressentais un sentiment étrange : celui d’être en voyage tout en étant à un endroit où chaque jour un peu plus je sens que je vis. L’ici et maintenant prend presque toute la place, le flux des journées n’est plus le même, les espaces prennent d’autres dimensions. Je me surprend régulièrement à observer des brins de vivant, des ’copeaux’ de nature, des toutes petites fractions d’existence et de ressentir une dose pas banale de bonheur. Je ne sais vraiment pas combien de temps je vais rester ici mais il y a quelque chose de sûr là maintenant, en cet instant, mercredi 20 novembre 2013 à 19h31 : je vis et je suis heureux !


                                                                                                                       Thomas (Sequoia 20-11-13)


[1] Ce mot remplace un autre aussi pernicieux que banal: mon premier est une abréviation qui désigne quelqu’un de très bon dans ce qu’il fait, mon second, d’origine anglophone, est un avion à réaction.